Gentien Piaget raconte : « Avec un collègue je me rends en Libye pour visiter le programme d’une ONG partenaire et évaluer la possibilité de monter un projet avec elle dans ce pays. Ce déplacement s’inscrit en 2013, environ un an et demi après la chute de Kadhafi, et c’est mon premier voyage d’évaluation avant la construction d’une opération. C’est donc en « junior » que j’y vais et mon collègue est à ce moment responsable des opérations. Le programme de notre partenaire potentiel est embryonnaire et surtout concentré sur de la neutralisation de stock de munitions. L’autorité nationale en matière de déminage est aussi toute neuve et les données sur les emplacements des champs de mines ne se trouvent que dans la tête des personnes qui ont vécu les conflits concernés. On peut comprendre cet état de fait concernant les zones rendues dangereuses lors de la Première guerre civile libyenne, récemment terminée, mais non pas concernant les zones plus anciennes qui auraient dû être répertoriées. Quoi qu’il en soit, il est très difficile de trouver des informations précises sur la contamination du sol dans la région où nous nous trouvons. Après discussion avec le responsable opérationnel qui nous dit savoir où se trouve un champ de mines, nous planifions une visite de ce site pour avoir une idée du contexte dans lequel une de nos machines devrait travailler. Nous partons donc à quatre dans un pick-up 4x4 pour rejoindre la zone décrite. En arrivant approximativement sur les lieux, notre hôte montre des doutes quant à l’endroit exact et dit se rappeler que les mines se trouvent proche d’une ligne électrique. Nous nous trouvons sur un petit chemin non goudronné, bordé de champs sablonneux et désertiques. Les points de repères sont rares. Çà et là une surface cultivée mais ce n’est que ponctuel. À un certain moment, une ligne à haute tension apparait dans le lointain et notre chauffeur prétend que ce que nous cherchons se trouve dans ses environs. Il décide de couper directement à travers le désert, braque brusquement et quitte le chemin pour entrer dans les étendues arides avec notre véhicule. C’est mon premier voyage dans ce contexte et je n’ai pas le recul à ce moment pour mettre en doute la méthode mais mon instinct me dit que sillonner une zone désertique à la recherche d’un champ de mines sans informations plus précises que la proximité d’une ligne à haute tension et sans savoir ce qu’il y a réellement dans la zone ne constitue pas la meilleure méthode pour rester en bonne santé. Nous avons rejoint sans encombre la ligne à haute tension et le chemin qui la longe, puis nous avons retrouvé le champ de mine en question, avons fait nos observations et sommes rentrés en empruntant les routes cette fois-ci. Nous n’avons jamais reparlé de ça avec mon collègue et le responsable des opérations de l’organisation partenaire s’est fait licencié peu après. Est-ce lié ? »